Chapitre 1

RÉMY (un peu éméché : son débit est rapide et enthousiaste) : – C’est comme j’te dis Pierre : un Range deux litres six à 12 000 euros ! Quarante mille bornes au compteur ! T’imagines l’affaire !

Le mec venait de divorcer, sa femme s’était barrée avec son meilleur pote, ou un truc comme ça, comme il l’emmerdait, elle lui a foutu les huissiers au cul, bref, le type était tellement dans la mouise qu’il a été obligé de refourguer tout ce qu’il avait ! Son Range, il venait de l’acheter d’occase à un garage, mais comme il l’avait cabossé, l’autre voulait bien lui racheter, mais deux briques de moins : j’ai fait une offre qu’il pouvait pas refuser, du coup il me l’a cédé pour rien. Douze mille euros ! Dans le cul !

BORIS (dans le même état d’excitation) : – Dans le cul ! Ah ! Ça vaut bien une autre tournée ! Patron, quatre pastis ! C’est Rémy qui régale !

PIERRE : – Non, merci les gars : on a déjà pas mal picolé et…

BORIS : – Allez ! Fais pas ta chochotte ! Dis donc, ça te réussit pas le mariage ! C’est parce que ta petite dame est là que tu mets la pédale douce ?!

Rires gras des deux hommes.

PIERRE : – Bon… La dernière, hein ?

MARIE (en catimini) : – Dis donc, Pierre, ils sont lourds tes vieux copains. Je croyais qu’on allait aux sports d’hiver ?

PIERRE (embarrassé) : – Bah, oui, demain…

MARIE : – Justement. Je préfèrerais arriver tôt, qu’on en profite pour prendre les forfaits. Et puis leurs histoires de bagnole, j’en ai vraiment rien à faire. Je comprends pourquoi tu ne les as pas invités au mariage : des copains comme ça, tu peux te les garder !

Dans son dos, les deux copains apostrophent le patron derrière le comptoir, rient bruyamment.

PIERRE (conciliant) : – Bah, les amis d’enfance, tu sais ce que c’est quand on se retrouve !

MARIE : – Non, je ne sais pas ce que c’est. Et je voudrais qu’on rentre.

PIERRE : – Attends au moins qu’on finisse nos verres !

La porte du bistrot s’ouvre. Un homme s’approche du comptoir où ils conversent.

RÉMY : – Tiens tiens… Boris, regarde un peu qui vient boire un verre au village…

BORIS (mimant l’écoeurement) : – Beuh ! Une crouille !

MARIE : – Qu’est-ce qu’il vient de dire ?

PIERRE : – Rien. Il déconne.

RÉMY : – Une bonne vieille crouille. Dis, qu’est-ce que tu fous là, la crouille ? (silence) Oh,

j’te cause ! Pas de crouille dans mon bar. Allez, dégage.

LE MAROCAIN : – Je veux juste boire un verre et…

BORIS : – T’as pas entendu ce que t’a dit mon copain ? Dégage avant qu’on te renvoie dans ton pays à coups de pied au cul ! 

L’homme s’en va sans un mot.

Les deux autres ricanent.

MARIE : – Mais… Non ! Monsieur, revenez !

BORIS : – Laisse tomber. Il va retourner tranquillement dans son hangar, retrouver son troupeau.

MARIE : – Quoi ?

BORIS : – C’est un saisonnier. Un de ces putains de Marocains qui viennent se remplir les fouilles en ramassant des pêches. Y’a une grosse exploitation qui s’est installée dans le coin : depuis, ça pullule.

MARIE (soufflée) : – Mais… Vous êtes vraiment des arriérés, des débiles mentaux !

PIERRE (calmant le jeu) : – Bon, ça va, on rentre.

MARIE : – Je peux te dire qu’il y a intérêt.

PIERRE : – Bon, désolé les gars, mais demain on a encore de la route pour arriver aux pistes. Ça ne vous dérange pas de nous ramener maintenant ?

RÉMY : – Oh ! Finissez vos verres !

MARIE : – Plutôt crever.

PIERRE : – Bon, bon, ça va, on y va ! Patron, tenez, gardez la monnaie. Allez les gars !

Deux verres claquent sur le comptoir. La petite troupe quitte le bar, embarque dans le 4x4 et démarre. Le vent souffle par la vitre tandis qu’ils partent.

MARIE (en catimini) : – Quelle bande de cons !

PIERRE : – Je t’en prie, n’en rajoute pas…

MARIE : – Non mais tu les as vus avec ce pauvre gars ?

PIERRE : – Laisse tomber, je te dis, ils nous ramènent.

RÉMY (fort) : – Dis, Boris, tu vois ce que je vois ?!

BORIS : – Putain, con !

RÉMY : – La crouille…

MARIE (à eux) : – Qu’est-ce qu’il se passe ?

RÉMY : – Hé hé, le jeu de la portière, vous connaissez ?

MARIE : – Quel jeu de la portière ?

RÉMY : – Tu connais pas ? Bah, tiens, regarde.

Boris, prêt ?

BORIS (éméché, rigolard) : – Prêt !

La voiture accélère. Soudain, la portière s’ouvre, le vent s’engouffre.

MARIE : – Mais arrêtez ! Vous allez l’écraser !

BORIS : – Mais non ! Juste un petit coup de portière !

MARIE : – Pierre ! Mais putain arrêtez vous êtes fou ! Pierre ! Vous allez arrêter oui ! Pierre, fais quelque chose !

BORIS : – Ah ! Lâche-moi connasse !

Un hurlement de terreur retentit tandis que le corps

percute la portière. Marie ne lâche pas prise :

MARIE : – Arrête-toi salopard !

RÉMY (il hurle) : – Attention !

Le Range dérape, percute un rocher, c’est l’accident...