Charles n°7 - Entretien avec Jean-Luc Mélenchon : Les journalistes de Libération ? « Des voyous » (extraits)
Dans une interview fleuve et sans langue de bois, Jean-Luc Mélenchon revient dans les détails sur son passé de journaliste, sa détestation pour Libération et sa stratégie face aux médias. Morceaux choisis.
« Le premier employeur d’Arthur »
« J’ai été journaliste de presse écrite, en tant que localier. J’ai gagné ma vie pendant un temps en vendant mes articles à la pièce. “Pigiste permanent”, ils appelaient ça. Vers 1977, j’ai créé un journal socialiste, qui s’appelait La Tribune du Jura. Mais j’ai été aussi correcteur dans l’imprimerie. J’ai ainsi corrigé les épreuves de La République moderne de Mendès France. Ensuite, j’ai fait de la radio libre : j’en ai dirigé cinq. Pas une, cinq ! Dans un réseau qui s’appelait Ondes Libres. Et je me suis personnellement occupé de l’organisation de Radio Nord Essonne. J’ai été le premier employeur d’Arthur, qui se garde bien de le rappeler ! C’est moi son premier employeur en média. Ensuite, j’ai fait de la télé “libre”. Ma télé s’appelait Télé Zola. Je fais aussi de la photographie. C’est un média à part entière. Les choix de photos violentes sont délibérés. C’est fait pour me nuire. Et puis, je suis un méridional, je parle avec les mains, c’est un régal pour les photographes. Si on veut sortir des photos de moi grimaçant, c’est la facilité totale… Il n’y a pas un seul média dont je ne connaisse pas le maniement technique. Donc, en principe, je sais tout faire. Voilà pourquoi il ne faut pas essayer de me raconter des histoires sur le sujet ! »
« Le sommet dans la manip’, pour moi, c’est Libé. »
« Le sommet dans la manip’, pour moi, c’est Libé. À chaque fois, leurs trois entrées sont trois attaques contre moi, plus le fait qu’ils changent les questions après l’interview. Parfois, ils changent aussi les réponses relues… alors là, c’est “la totale” ! Les rubricards se battent pour avoir de la place dans le journal, donc ils survendent des informations extraordinaires dans un milieu qui m’est profondément hostile ! La chefferie de Libération m’est profondément hostile ! Ce sont des ex-maoïstes, ex-polpotistes, j’en passe et des meilleures. Pour moi, ce sont des voyous. Donc je ne les vois plus, je ne réponds plus à leurs questions, je ne leur adresse plus la parole. Qu’est-ce que j’en ai à faire des clowneries de Libération ?! Ils racontent ce qu’ils veulent, ça ne change jamais, c’est continuellement des saloperies sur mon compte, venimeuses, méchantes, perverses… C’est leur style à eux. En résumé : “Gnagnagna !” Sarcastico-aigre, libéralo-libertaire. Ils ont complètement renoncé à la logique du journalisme factuel. Eux, ce n’est pas ça, c’est “faire dire une saloperie”, “trouver un moyen d’opposer l’un à l’autre pour vendre du papier”… Je connais la méthode, je l’ai pratiquée à la Dépêche du Jura en voulant les imiter à l’époque ! Avec Libération, j’en étais déjà à je ne sais pas combien d’incidents du même type. Quand ce n’était pas le titre ou l’interview, c’était la photo qui était absolument répugnante pour moi, gros plan insultant et ainsi de suite... Maintenant, le gars qui fait la photo vous prend pour un mannequin. Il vous dit : “Posez comme ci, faites comme ça.” Et moi, comme un imbécile, je joue le jeu. Il me dit “Faites comme si vous vouliez me convaincre", alors on me voit les yeux exorbités et BAM ! Ils passent ça en énorme ! Bon, je me suis fait avoir, tant pis pour moi. »
Le Monde est en guerre contre moi
« Le Monde, ça sert à une chose : savoir ce que vont penser les 10 000 importants du pays. La classe moyenne supérieure, les gens qui travaillent dans les ministères. Le Monde est une espèce de missel politique. Au Conseil des ministres, autour de Jospin, c’était toujours le même rituel : à midi et quart, arrivait Le Monde, pour Lionel. On voyait le chaouch arriver avec le journal… Il y avait un silence et Lionel regardait la première page, puis il l’ouvrait, et tout le monde tordait le cou pour voir le titre. Moi, je me moque d’eux : “C’est pas le journal de référence, c’est le journal de révérence.” Il encense, il félicite, il complimente, il gronde et punit... Je suis en guerre avec Le Monde, ou plus exactement Le Monde est en guerre contre moi puisqu’ils ont même engagé un procès contre moi avec un de leur journaliste, qui est un ancien de l’action terroriste argentine, et j’ai fait l’erreur de le dire…Et puis, en réalisant un numéro entier de son magazine contre moi, Le Monde a battu un record ! On n’avait fait à aucun autre homme politique ce patchwork qui est un fac-similé de photos d’Adolf Hitler, qui s’était entraîné à parler devant un miroir ! Le Monde me montre de la même manière. Dans l’article, il y avait soixante fois le mot “agressif”! Le Monde m’a tiré dessus durant toute la campagne présidentielle… Je ne cours pas après les journaux pour découvrir continuellement des choses contre moi. Surtout que la place relative de ces journaux a diminué de manière considérable. Dans ma stratégie, la presse papier hostile doit être écartée, parce que cela ne sert à rien d’être dedans pour se faire démolir. En fait, moins ils parlent de vous, mieux vous vous portez, car par ailleurs, on existe sur d’autres réseaux bien plus porteurs. La toile joue un rôle essentiel avec l’audiovisuel. Le reste est un lectorat de niche. »
Crédit photo : Arnaud Meyer
Propos recueillis par Marc Endeweld. L'intégralité de l'entretien est à lire dans Charles n°7 "Journalisme & politique"