Dans un entretien publié dans le numéro 18 de la Revue Charles (en kiosque et en librairie le mercredi 15 juin) qui consacre un dossier au racisme en politique, Azouz Begag fait le procès de Nicolas Sarkozy et revient sur ses échanges houleux avec Brice Hortefeux. Extraits. 

Propos recueillis par César Armand

Portrait Nadège Abadie 

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Quand Villepin est nommé Premier ministre, il fait de vous son ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Avez-vous été victime de racisme à cette époque ?

Depuis ma naissance, je suis victime de racisme ! Notamment en raison de la guerre d’Algérie. Je suis un enfant de la guerre d’Algérie, né en 1957 à Lyon. Être victime de racisme est une seconde nature chez moi. Je suis l’objet de racisme anti-arabe et de racisme anti-algé­rien. Regardez Robert Ménard, cet enfant né en Algérie, ses blessures de guerre n’ont pas encore cicatrisé. Quand cette guerre d’Algérie ressuscite comme aujourd’hui, elle peut faire élire un maire comme Robert Ménard à Béziers. Alors, lorsque Dominique de Villepin me propose d’être la première personne issue de la diversité à entrer dans un gouvernement, je suis certain qu’en faisant un boulot à peu près correct, il y aura, après moi, dans tous les gou­vernements français, des représentants de la diversité. D’aucuns disaient alors que Dominique de Villepin avait besoin de moi pour attirer l’électorat arabe, maghrébin et musulman de France en prévision de sa candidature à l’élection présidentielle. C’était une sottise de penser cela quand vous connais­sez les taux d’abstention dans les banlieues où habitent ces populations. Toutefois, il est vrai que ma présence a profité à Dominique de Villepin. Il a bénéficié grâce à moi d’une bonne réputation, voire d’une amitié et d’une complicité, auprès de ces jeunes. Aujourd’hui, il peut aller dans n’importe quelle cité, les rencontrer, leur parler sans aucun risque, ce que ne peut pas faire évidemment Nicolas Sarkozy ou « Driss » Hortefeux.

Vos relations ont été compliquées avec ces deux derniers.

Bien entendu ! Étant donné la force du Front national à l’époque, Nicolas Sarkozy avait compris qu’il fallait aller chercher ceux qu’il appelait « les brebis égarées », c’est-à-dire les électeurs qui n’avaient pas compris que c’était lui le représentant, caché, du Front national. Il fallait les appâter. Les appâter oui, mais avec quoi ? Avec plus de crèches ? Plus de tramways ? Plus de propreté dans les villes ? Ou plus de sévérité envers les jeunes Arabes et les jeunes Noirs des banlieues ? Plus de police ? Plus de matraquage ? Plus de Kärcher ? Évi­demment, il a retenu la deuxième option. Il y est allé avec les coudées franches et il a institutionnalisé le racisme. Quand vous êtes engagé, franc, déterminé à dénoncer l’islam, l’invasion des musulmans, la France du halal, vous marquez des points en politique. Nous en sommes là… D’ailleurs, le mot «  banlieue » est presque le synonyme des mots « maghrébin » et « musulman », qu’on le veuille ou non. Un jeune des banlieues, c’est un jeune qui a une tête d’Arabe ou une tête de musulman, si je puis dire. Je ne pouvais donc pas ne pas réagir quand il a parlé de « racaille ». Ce n’est pas digne d’un ministre de s’exprimer en des termes aussi véhéments. C’est ainsi que j’ai commencé à dénoncer – ce que Nicolas Sarkozy n’a jamais accepté – sa sémantique guerrière. Ce n’est pas en déclarant la guerre sur la dalle d’Argenteuil que vous allez résoudre une quelconque partie des problèmes des cités. Bien au contraire ! En tant que ministre de l’Inté­rieur, il aurait dû agir comme moi et inviter ces jeunes à s’inscrire sur les listes, à voter, à s’exprimer et à s’engager en politique, plutôt que de les « kärcheriser ». Un jour, lors d’une conférence à Marseille, où, parmi les 300 personnes présentes dans la salle, certaines ne compre­naient pas pourquoi j’étais dans le même gouvernement que Nicolas Sarkozy au regard de mes positions sur les banlieues, je me suis énervé : «Je ne m’appelle pas Azouz Sarkozy!» Que n’avais-je pas dit ! La guerre était lancée. Là-dessus, à l’Assemblée nationale, Brice Hortefeux me tombe dessus : « Fissa, fissa ! T’es toujours là, toi ? Dégage, dégage ! » Cela m’a profondément marqué. Dominique de Villepin m’a rassuré : « Ils veulent que le bicot démissionne, mais tu resteras. »

Que faut-il faire pour lutter contre le racisme en politique ?

Réserver 50 circonscriptions gagnables à l’Assemblée nationale pour des candidats de la diversité ! J’estime à 5 millions le nombre de musulmans en France. Or, sur 577 députés, deux seuls sont d’origine maghrébine : Malek Boutih (Essonne) et Razzy Hammadi (Seine-Saint-Denis). C’est scandaleux ! Au Sénat, sur 348 sénateurs, vous avez trois femmes d’origine maghrébine : Bariza Khiari, Leila Aïchi (Paris) et Samia Ghali (Marseille). Est-ce que ce serait scandaleux si elles étaient 30 ? Pareil avec les 36000 maires de France : au lieu des cinq maires actuels d’origine maghrébine, pourquoi n’y en aurait-il pas 5000 ? Est-ce que ce serait scandaleux ? Non ! Eh bien, faisons-le ! —

L'intégralité de l'entretien avec Azouz Begag est à lire dans Charles n°18, Racisme & Politque, Ete 2016


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