Les OVNIS de l'électro - Jean Michel Jarre : "J'ai mangé une pizza à l'acide" (Extraits)
Le premier opus de la collection Rencontres du troisième beat donne la parole à cinq "OVNIS de l'électro". Dont Jean-Michel Jarre qui raconte cinquante ans de scène. Dans cet extrait, il s'épanche sur les interactions entre drogue et musique dans son parcours.
Dans l’électro, les
parallèles entre drogues et musique sont très
présents,… Pourtant, tu parles généralement très peu de drogue, hormis
peut-être une fois sur le plateau d’Ardisson (lors de l’émission
« Tout le monde en parle ») où tu abordes la « drogue douce », la beuh.
Pour imaginer tes différents univers et leurs sons, tu ne t’es
jamais « aidé » ?
Mon rapport avec les drogues est assez particulier. À l’âge de 18 ans, je suis parti en week-end avec mon cousin, qui était aussi mon meilleur ami. Durant ce week-end, on a nous mis de l’acide dans nos pizzas. Ça se faisait beaucoup à l’époque. Nous, nous n’étions pas au courant. Résultat, nous sommes « partis » deux jours… Sauf que mon cousin, lui, n’est jamais revenu. C’était un garçon hyper brillant, intelligent, marrant et ce truc l’a détruit. La seule chose qu’il a pu faire dans sa vie par la suite a été de trier les lettres à La Poste. Il a été brûlé, grillé, est parti sans retour. Cet épisode m’a traumatisé. Il était vraiment comme un frère pour moi. Le fait d’avoir pris cette drogue, à notre insu en plus… Ça m’a définitivement dissuadé de tomber dedans. Après, c’est vrai que j’ai fumé de l’herbe régulièrement, comme ça. Mais elle n’a jamais été un outil nécessaire pour créer. Ce n’est pas très populaire de parler ainsi, mais je pense que la drogue est utile pour désinhiber, ôter les barrières que tu te fabriques. Toutefois, tu peux te désinhiber d’une autre manière… Avec la musique électro-acoustique et électronique, c’est plus facile. Quand tu explores des choses, où tu ouvres une porte sur des territoires vierges, c’est comme si tu prends de la drogue. De l’acide en particulier. Pour moi, à cette époque, la musique électro-acoustique était un territoire inconnu. La pratiquer était comme sauter dans le vide, sans filet. Voilà pourquoi je n’ai pas eu trop besoin de ça. Par contre, toutes les musiques, quels que soient leurs genres, sont liées à la drogue car elles sont le fait des mouvements underground, les plus fragiles. Le début du jazz est difficile. Les gens ne gagnent pas leur vie, ils ont du mal à s’en sortir. Les dealers, comme des prédateurs, le sentent, et vont se rapprocher des plus vulnérables pour vendre leur came : les créateurs à l’origine et au noyau d’un nouveau genre. C’est vrai pour le début du jazz, mais aussi pour le début du rock et de l’électro, du funk, du disco… À chaque fois. De l’absinthe de Baudelaire jusqu’à l’ecsta, en passant par le crack, le LSD, la coke, etc. Chaque musique a sa ou ses drogues. L’herbe est à part. C’est une drogue qui n’a rien à voir : prise de manière importante, elle change le comportement, mais reste moins nocive que la cigarette.
Tu étais donc clean pour concevoir tes premiers long-formats, Deserted Palace (premier album de Jarre, sorti en 1973) et Oxygène.
Ben oui. Ce qui est amusant, c’est qu’à partir d’Oxygène, ma musique sera toujours liée à la drogue ! Pour la sortie d’Equinoxe, je me rappelle avoir participé à une séance de dédicaces à San Francisco, dans un magasin Tower Records. Pendant deux heures, tous les mecs viennent me voir, me sortent des « On est high, man, thank you so much » et me donnent un sac d’herbe. Je me suis retrouvé avec je ne sais combien de kilos de beuh dans des sacs en plastique ! Le mec de la maison de disques me disait : « Mais putain, on ne peut pas laisser ça là, c’est trop con ! » S’en suit alors une scène à la Very Bad Trip : on est dans sa bagnole, avec toute cette herbe qu’on a réussi à caler dans le coffre, et je commence à m’inquiéter. Lui me répond : « T’inquiète pas, ça ira. De toute façon, j’ai un flingue dans la boîte à gants ! » (Rires.)
L'intégralité de l'entretien est à lire dans Les Ovnis de l'électro d'Arnaud Rollet.
En librairie le 15 mars 2017