De 1966 à 1981, Frank Thomas a fourni à la variété quelques refrains éternels dont la simple lecture pose les mélodies sur les lèvres : « Elle m’a dit d’aller siffler là-haut sur la colline… », « Le téléphone pleure, ne raccroche pas, je suis si près de toi avec la voix… », « L’avventura, c’est dormir chaque nuit dans tes bras… »… Voici un extrait du livre Les Tubes, ça s’écrivait comme ça, qui rassemble quinze entretiens avec les grands paroliers de la chanson française, où Frank Thomas raconte à Baptiste Vignol la genèse du titre « Le Téléphone pleure ».


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Cette chanson, c’est un coup de bol, comme la plupart des succès populaires. À l’époque, je vivais avec une femme et ses enfants, qui n’étaient pas de moi – je connaissais donc un peu le sujet de la chanson – et Bourtayre me demande : « As-tu vu le film L’Épouvantail avec  Gene Hackman et Al Pacino ? Il y a une scène où Pacino téléphone à sa femme et c’est une petite fille qui répond. On a pensé avec Claude que c’est une bonne idée de chanson. » Ils avaient enregistré une maquette en yoghourt et Bourtayre me l’a envoyée. Cette chanson m’a demandé un énorme travail. Claude me disait : « Non, ça n’est pas encore tout à fait ça. » Je l’ai refaite six fois. Sort donc l’album de Claude sur lequel il y avait aussi « Le Mal Aimé » d’Eddy Marnay qui marchait très bien (n°1 en août 1974 – NDA), mais Radio Monte Carlo demande à ses auditeurs quelle est leur chanson préférée sur ce 33 tours. À 90%, ils ont répondu « Le Téléphone pleure ». Coup de bol, donc. Claude l’a sortie en 45 tours et ça a été son plus grand succès. Une semaine après sa sortie, il m’avait réveillé, au téléphone : « Thomas, on en a déjà vendu 125 000 ! » Il était baba.


Étiez-vous proche de Claude François ?

Non, mais j’ai toujours eu de bons rapports avec Claude, pour une raison très simple : je ne dépendais pas de lui. J’avais donc son respect. Un jour, il me dit : « Je suis tombé sur une de tes maquettes, elle est formidable, je vais l’enregistrer.» Les maquettes arrivaient à ses bureaux, en rafales, et Claude François, qui était un grand travailleur, contrôlait tout… Je m’étonne : « Mais elle n’a rien à voir avec toi ! » La chanson s’appelait « Mais que deviendra Jeanne », d’après les derniers mots prononcés par Modigliani avant de mourir en parlant de sa femme… Mais Claude voulait faire évoluer son image. Il avait par exemple enregistré « Les Moulins de mon cœur », ce qui ne lui allait pas du tout… « Tu vois, “L’Éducation sentimentale” de Maxime LeForestier, j’aurais bien aimé la chanter ! » m’avait-il dit un jour. Même chose pour « La Rouille » qu’avait écrite Jean-Pierre Kernoa. Il avait beaucoup aimé « Dites-moi » de Jonasz. Il était à l’écoute, et d’une grande sensibilité. Bref, cette maquette, il l’a enregistrée, puis il m’appelle : « Je l’adore, mais tu as raison, ça n’est vraiment pas pour moi ! » Cet enregistrement est sorti après samort, parmi d’autres inédits… Claude François était un être fragile par certains côtés, il avait vécu l’exil, eu des relations difficiles avec son père, sa première épouse l’avait quitté pour Bécaud. Mais il était d’une volonté d’acier, d’une solidité extraordinaire, entouré par une équipe absolument dévouée. Bien sûr, il était excessif, caractériel, passionné, mais c’était un homme d’une grande bonté. Pour lui, j’ai également fait l’adaptation de « 17 ans » d’après « At Seventeen » de Janis Ian qui m’avait demandé un gros travail. Certains cire-pompes dans son entourage m’avaient dit : « C’est pas possible, tu as écrit qu’il était “le troisième coureur, qu’il ne recevait jamais de fleurs”, c’est pas bien pour ses fans ! » Claude, lui, ne m’a fait aucune remarque, il avait compris que la chanson reposait aussi sur ce détail, cette faille-là. Quand j’ai appris sa mort, j’ai appelé mon voisin Guy Florian, qui était l’un de ses derniers directeurs artistiques. On s’est retrouvés chez Claude, boulevard Exelmans. Il y avait Bourtayre, Vline Buggy, Drucker… Bourtayre me demande : « Tu veux le voir ? » Et je l’ai vu. Il n’avait aucune expression sur le visage. J’ai eu beaucoup de peine. Ouais… Il s’est dit beaucoup d’imbécilités sur Claude François.


L’intégralité de l’entretien est à lire dans Les Tubes, ça s'écrivait comme ça - La parole aux paroliers par Baptiste Vignol


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16,5 X 21,5, 192 pages, 19 euros. Parution le 9 novembre 2016.

La soirée de lancement aura lieu le mercredi 16 novembre à partir de 18h30 à la librairie Parallèles, 47, rue Saint-Honoré, 75001 Paris. Entrée libre

En présence de Baptiste Vignol mais aussi des paroliers Boris Bergman, Frank Thomas, François Bernheim et Vincent Baguian